Reconstruction du Vieux-Port

1951 – 1955
Contexte: reconstruction d’après-guerre, ville ancienne.
Programme: 185 logements, boutiques et restaurants répartis dans 6 bâtiments de hauteur variable entre 3 et 5 étages.
Construction: façades en pierre porteuse, structure en béton armé, couverture à deux pentes avec des tuiles canal. La façade sur le quai est un ajout d’une profondeur de 4 mètres adossé à la structure en béton armé du projet de Leconte qui était en cours de réalisation. Elle se déploie avec un rythme régulier alternant loggias et fenêtres au-dessus d’une galerie en portique. Les plafonds du portique intègrent des caissons carrés en terre cuite.

«A l’instant même, j’attaquai le problème, mais les choses se présentaient mal. Il n’était pas question de démolir les travaux déjà exécutés. Avec mon vieil ami Borel et un brillant élève d’Aix, Donatini, nous mîmes au point en quelques jours nos premières études. Le parti adopté dès le début et dessiné à la hâte, fut dans son ensemble réalisé: quatre immeubles semblables, un cinquième à droite de la mairie et un sixième, bas, rappelant l’architecture de la Tourette à l’autre extrémité. Les guichets étaient remplacés par des placettes. De cette manière, de nombreux bâtiments bénéficiaient de la vue sur le plan d’eau. Les façades étaient entièrement modifiées: j’avançais l’alignement de quatre mètres sur le trottoir et sur toute la longueur du quai, il y avait des loggias soutenues par des refends en blocs de pierre. Ainsi, malgré un aspect assez massif, la surface en glace des baies représentait quatre-vingts pour cent de la superficie des façades. (…)
Pour moi, fort peu soucieux des hiérarchies, et uniquement préoccupé par le Vieux-Port, j’accumulais les études. Je me préparais à présenter au ministre le projet le plus complet et le plus brillant possible.
Vers le quinzième jour avant le délai, nous fûmes Devin et moi convoqués à Paris, afin que la direction de la Construction nous confirmât notre mission. (…)
La conception de Devin était à l’opposé des exigences du site. Ce problème de l’intégration fut souvent discuté. La plupart des architectes la jugent déshonorante pour l’art contemporain. Mon point de vue est plus nuancé. Dans un ensemble architectural existant, l’introduction d’un élément nouveau peut, certes, apporter une émotion, se révéler intéressante ou géniale. Mais dans ce cas, l’apport doit être plus monumental que mineur.
Au Vieux-Port en partie détruit, plusieurs kilomètres de façades ordonnancées demeuraient, sans compter les deux forts à la Vauban ou médiéval, les églises Saint-Victor, Saint-Laurent, le clocher des Accoules, la mairie de Pierre Puget et l’Hôtel-Dieu d’Hardouin-Mansart. […] Ce nouvel élément devait être mineur, comme par le passé, mais aussi rude que les immeubles à la Ledoux du quai opposé. Créer de l’insolite dans un ensemble aussi serein était pour moi plus qu’une faute: un crime. […] (…)
Au ministère, je rencontrai Dalloz et Bordaz. Je leur communiquai mes premières études. Tous deux choisirent un dessin avec des arcades à rez-de-chaussée pour séduire le maire: «Après, on verrait», dirent-ils.
Je m’en tins donc à ce parti que je présenterais à grande échelle, et j’organisai l’agence en vue de réaliser un véritable projet. […] (…)
En moins de quinze jours je repris l’étude des immeubles, en conservant seulement les structures existantes. Nouvelles façades, nouveaux plans, nouvelles organisations des appartements. J’étais rivé à ma planche, fournissant de l’ouvrage jour et nuit à mon équipe de gamins de dix-sept et vingt ans. Ces enfants étaient surpris d’avoir à dessiner les formidables façades du Vieux-Port de Marseille, et curieux de voir leur jeune patron rivaliser avec l’un des maîtres de l’école. Cette lutte de David contre Goliath les passionnait».

Sources:

F. Pouillon, Mémoires d’un architecte, Éditions du Seuil, Paris 1968, pp. 115-118